Aliénation parentale : quel impact sur la santé mentale des adolescents ?

Par Coeur Bleu, publié le 30 mai 2025
Dépression, anxiété, idéations suicidaires… Quand la rupture du lien avec l’un des parents laisse des traces durables.

1. Pourquoi en parler ?

Lorsque Paul, 15 ans, décide brusquement de « rayer » son père de sa vie, son entourage reste démuni. Aucun épisode de violence n’a été rapporté ; rien, semble-t-il, ne justifie cette coupure soudaine. Ce scénario – un adolescent qui rejette totalement l’un de ses parents sous l’influence explicite ou implicite de l’autre – porte un nom : l’aliénation parentale. Ce phénomène suscite de plus en plus l’attention des cliniciens, des juges et, bien sûr, des familles concernées. Mais quelles en sont les conséquences psychologiques pour les jeunes ?

2. Aliénation parentale : de quoi parle-t-on ?

L’aliénation parentale se définit par un ensemble de comportements (dénigrement, isolement, pressions, secrets, mensonges, manipulations, dénonciations calomnieuses etc.) visant à briser ou empêcher la relation entre l’enfant et l’autre parent. Dans les cas les plus extrêmes, l’adolescent en vient à rejeter le parent ciblé sans raison objective, allant jusqu’à le diaboliser. Pour les chercheurs, il s’agit d’une forme de maltraitance émotionnelle car elle prive le jeune d’un attachement sécurisant et l’oblige à choisir son camp.

3. Un risque accru de troubles internalisés

Indicateur cliniqueAdolescents exposés à l’aliénation*Groupe témoin
Dépression clinique (garçons)12,3 %4 %
Dépression clinique (filles)16,8 %7,5 %
Anxiété-trait (garçons)54,7 %36,6 %
Anxiété-trait (filles)63,3 %50,2 %
Combinaison dépression + anxiété35 %21 %

*Données issues d’une étude italienne portant sur 509 adultes ayant grandi avec ou sans comportements d’aliénation parentale [1].

D’autres travaux confirment l’ampleur du phénomène :

  • Suicidalité : une méta-analyse regroupant 12 848 jeunes montre que la composante « aliénation » de l’attachement parental est corrélée à l’idéation suicidaire à hauteur de r = 0,50 [2].
  • Trajectoire dépressive : chez 877 adolescents chinois « left-behind », le score d’aliénation mesuré à 12 ans prédit une augmentation de 1,85 point sur l’échelle CDI un an plus tard, même en tenant compte des événements de vie [3].
  • Prévalence : aux États-Unis, 13,4 % des adultes déclarent avoir été victimes de comportements aliénants dans leur enfance, soit plus d’un Américain sur huit [4].

4. Comment l’aliénation blesse le psychisme ?

  1. Rupture de l’attachement sécurisant : le jeune intègre l’idée qu’un parent est « dangereux » ou « indigne », ce qui mine la confiance de base.
  2. Conflit de loyauté permanent : l’adolescent sent qu’aimer le parent rejeté équivaut à trahir le parent gardien, d’où une anxiété chronique.
  3. Stress toxique : les manipulations répétées et l’isolement relationnel alimentent une hyper-vigilance pouvant évoluer vers un trouble anxieux ou un épisode dépressif.
  4. Biais cognitifs : le discours dénigrant structure la vision du monde (« on ne peut faire confiance à personne »), fragilisant l’estime de soi et la régulation émotionnelle.

5. Signaux d’alerte chez l’ado

  • Rejet soudain et absolu d’un parent sans justification factuelle
  • Langage « adulte » (accusations juridiques, reproches disproportionnés) répété mot pour mot
  • Idéation suicidaire, automutilations ou conduites à risque
  • Discours polarisé et manichéen « tout blanc/tout noir » sur les figures parentales
  • Isolement social, troubles du sommeil ou de l’alimentation

6. Prévenir et accompagner

ActeurActions prioritaires
ParentsMaintenir une communication neutre, éviter les confidences inappropriées, recourir à la médiation familiale dès les premiers signes de conflit.
Professionnels de santéDépister les troubles internalisés (questionnaires PHQ-A, GAD-7), évaluer le contexte familial, proposer un suivi individuel et/ou une thérapie familiale.
Établissements scolairesRepérer les changements de comportement, faciliter l’accès au psychologue de l’école, sensibiliser l’équipe pédagogique.
Justice / protection de l’enfanceMettre en place des décisions de résidence et de contact centrées sur l’intérêt de l’enfant, avec un contrôle effectif de leur application.

7. Ressources utiles

  • Association Cœur Bleu : accompagnement des adolescents et des familles touchés par l’aliénation parentale (www.coeurbleu.fr)
  • Fil Santé Jeunes – 3114 : numéro national de prévention du suicide, 24 h/24.
  • Association Enfance & Partage : écoute et conseils juridiques.
  • Service d’information et de soutien Victimes (116 006).

8. Conclusion

La rupture forcée du lien avec l’un des parents n’est jamais anodine : elle multiplie par deux à trois le risque de dépression et d’anxiété à l’adolescence et expose à une idéation suicidaire précoce. Reconnaître l’aliénation parentale comme un facteur de risque majeur est une étape indispensable pour protéger la santé mentale des jeunes et leur offrir des parcours de réparation adaptés.


Références

[1] Baker A.J.L. & Verrocchio M.C. (2016). Exposure to Parental Alienation and Subsequent Anxiety and Depression in Italian Adults, American Journal of Family Therapy, 44(5).

[2] Yang H., Ran G., Zhang Q., Niu X. (2023). The Association between Parental Attachment and Youth Suicidal Ideation: A Three-Level Meta-analysis, Archives of Suicide Research, 27(2), 453-478.

[3] Qin X. et al. (2022). Life-Events Mediate the Prediction of Parental Alienation on Depression in Rural Left-Behind Children, Frontiers in Psychiatry, 13.

[4] Harman J.J. et al. (2017). Prevalence of Parental Alienation Drawn from a Representative Poll, Children and Youth Services Review, 82, 92-99.

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