Aliénation parentale : un fardeau psychique pour les parents rejetés

Par Cœur Bleu, publié le 4 juin 2025

Introduction

Se retrouver soudainement rejeté par son propre enfant, sans raison apparente, constitue un choc existentiel. Ce phénomène, désigné sous le terme d’aliénation parentale (AP) lorsqu’il est induit par des comportements de l’autre parent, reste encore controversé dans le débat académique — mais sa violence psychologique, elle, ne fait plus guère de doute. Au-delà de la douleur des enfants, la recherche commence à mettre en lumière l’impact parfois délétère de l’AP sur la santé mentale du parent ciblé (« parent rejeté »). Que nous apprennent les dernières études ? Comment mieux accompagner ces parents ?

Ce que disent les chiffres : dépression, anxiété et risque suicidaire

Une première série d’enquêtes à grande échelle révèle l’ampleur de la détresse :

  • Harman et coll. (2019), enquête en ligne auprès de 1 411 parents américains :
    53 % remplissaient les critères d’une dépression majeure, 44 % rapportaient des symptômes de stress post‑traumatique (PTSD) et 38 % des pensées suicidaires récentes.
  • Hine, Harman, Leder‑Elder & Bates (2024), étude britannique auprès de 646 parents : les parental alienating behaviours prédisaient la suicidalité, même après ajustement des facteurs sociodémographiques.

« Ces parents présentent des niveaux de désespoir proches de ceux observés en psychiatrie hospitalière. »

Harman, J. J., et al. (2019). Child & Youth Services Review, 100, 29‑37.

Ces proportions très élevées contrastent avec les taux observés dans la population générale (environ 7 % de dépression majeure et 4 % d’idées suicidaires chez les adultes européens), soulignant le caractère spécifique de la détresse liée à l’AP.

Un traumatisme comparable à celui des vétérans de guerre?

Les approches qualitatives confirment et nuancent ces chiffres :

  • Lee‑Maturana, Matthewson & Dwan (2020) ont interviewé 126 parents originaires d’Australie, du Canada et des États‑Unis. Les thèmes récurrents : dépression sévère, crises d’anxiété, symptômes de PTSD, isolement social — et un taux de tentatives de suicide de 23 %.
  • Matthewson et coll. (2021), dans une synthèse de quatre années de travaux sur 190 parents, décrivent des profils de traumatisme « comparables à ceux des vétérans de guerre ».

Le mécanisme principal ressemble à ce que la psychiatre Pauline Boss appelle le deuil ambigu : l’enfant est vivant, mais psychologiquement « perdu », ce qui empêche l’élaboration d’un deuil classique et entretient l’état de stress.

Après la réunification : la détresse ne disparaît pas toujours

Un volet souvent ignoré concerne les parents qui finissent par retrouver le contact avec leur enfant. Une étude exploratoire (2023) montre qu’à la joie des retrouvailles succède fréquemment une réactivation du traumatisme : flash‑backs des procédures judiciaires, sentiment d’échec parental, angoisse de « perdre à nouveau » l’enfant, difficultés financières persistantes. D’où l’intérêt d’un suivi psychologique même après la réunification.

« La première étreinte a été sublime ; la nuit suivante, j’ai fait le pire cauchemar de ma vie. »

Salomé, réunifiée avec sa fille après quatre ans

Pourquoi la recherche reste limitée

Malgré la convergence des résultats, plusieurs limites méthodologiques empêchent encore d’établir un consensus :

  • Biais d’auto‑sélection : la plupart des échantillons proviennent d’associations de parents ciblés, susceptibles d’exprimer une détresse plus aiguë.
  • Plans transversaux : il est difficile de savoir si la dépression est une conséquence directe de l’AP ou si certains parents étaient déjà vulnérables.
  • Mesures hétérogènes : il n’existe pas encore d’échelle validée pour mesurer spécifiquement la souffrance du parent rejeté (un projet pilote d’adaptation de l’Adverse Childhood Experiences aux contextes d’AP est en cours depuis 2024).

Des études longitudinales et des essais contrôlés d’interventions sont donc indispensables pour préciser le tableau clinique et tester l’efficacité des prises en charge.

Comment soutenir les parents ciblés ?

« On ne guérit pas d’un deuil ambigu sans regard extérieur bienveillant ; il faut être reconnu pour commencer à se reconstruire. »

Dr Fanny R., psychiatre spécialisée dans le traumatisme complexe.

Face à l’urgence, plusieurs pistes se dessinent :

  1. Dépistage systématique
    Les professionnels de santé (médecins généralistes, psychologues, services d’urgence) devraient intégrer quelques questions simples sur la dynamique familiale post‑séparation pour repérer l’AP.
  2. Approches thérapeutiques centrées sur le traumatisme
    Les thérapies EMDR, le trauma‑focused CBT ou encore les interventions basées sur la pleine conscience ont montré leur efficacité dans des troubles comparables. Adapter ces modèles au contexte spécifique de l’AP est une priorité.
  3. Groupes de soutien entre pairs
    Les groupes (présentiels ou en ligne) offrent un espace de validation émotionnelle, rompent l’isolement et réduisent significativement les symptômes anxio-dépressifs selon plusieurs études pilotes.
  4. Formation des acteurs judiciaires
    Juges, médiateurs et enquêteurs sociaux doivent pouvoir identifier les comportements d’aliénation parentale pour éviter la « revictimisation institutionnelle ». Le Royaume‑Uni a introduit en 2024 un module obligatoire sur l’AP dans le cursus des juges aux affaires familiales.

Perspectives : vers une reconnaissance officielle ?

En France, l’aliénation parentale n’est pas encore explicitement nommée dans la législation, mais la Cour de cassation reconnaît depuis 2023 le concept de « manipulation psychologique d’un enfant par un parent ». La multiplication des données sur la santé mentale des parents ciblés pourrait accélérer ce mouvement.

En 2018 puis 2024, l’Ordre des psychologues québecois a publié plusieurs articles techniques — par ex. Méthodologie et rationalité du diagnostic du « trouble » de l’aliénation parentale — rappelant que « l’aliénation parentale est actuellement classée parmi les problèmes relationnels parents-enfants » et non comme une pathologie du DSM-5. Un groupe de travail Familles hautement conflictuelles a été officiellement lancé au premier trimestre 2024, sous la présidence de la professeure Hélène David (ex-ministre et psychologue) ; l’annonce et les premiers résultats d’un sondage mené auprès des membres ont été publiés dans la rubrique « Échos de la profession » de l’Ordre à l’été 2024. L’Ordre travaille sur des lignes directrices attendues pour fin 2025. L’association Cœur Bleu publiera prochainement un article spécifique sur ce groupe de travail.

Conclusion

Loin d’être une simple querelle de spécialistes, l’aliénation parentale constitue une urgence de santé publique. Les chiffres — plus d’un parent sur deux en dépression, un sur trois confronté au désespoir suicidaire — imposent une mobilisation à la hauteur : dépistage, accompagnement thérapeutique, formation des professionnels du droit et de la santé. Pour les parents ciblés, il ne s’agit pas seulement de retrouver la relation perdue avec leur enfant, mais aussi de se reconstruire eux‑mêmes.

Vous êtes parent rejeté et vous reconnaissez dans ces situations ? Vous n’êtes pas seul(e). L’association Cœur Bleu peut vous apporter des conseils.


Références principales

[1] Matthewson, M. (2021). Ten Key Findings from Targeted Parent Research 2017‑2021. University of Tasmania.
[2] Harman, J. J., et al. (2019). Child & Youth Services Review, 100, 29‑37.
[3] Hine, B., Harman, J. J., Leder‑Elder, S., & Bates, E. (2024). Journal of Family Psychology, 38(2), 145‑159.
[4] Lee‑Maturana, S., Matthewson, M., & Dwan, C. (2020). Journal of Child Custody, 17(3‑4), 286‑315.
[5] Tavares, A., Crespo, C., & Ribeiro, M. (2021). Estudos de Psicologia, 38, e200199.

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Commentaires

  1. Merci beaucoup pour la publication de ce texte. Vraiment!
    Étant personnellement confrontée à l’AP depuis plus de 25 ans maintenant j’apprécie grandement que l’on s’intéresse de façon sérieuse aux parents ciblés et la difficile réalité à laquelle nous sommes confrontés… et ce sur une base quotidienne!
    Je comprends que l’enfant est la première victime de l’AP mais j’ai toujours trouvé dommage que la situation du parent ciblés et blessé ait été, jusqu’ici à ce point minimiser…
    Merci d’enfin nous considérer dans l’équation.
    Sincèrement,
    Sonia Mascolo, une maman ciblée depuis plus de 25 ans… devenue une grand-maman fantôme de deux petites-filles ( âgées de 14 et 4 ans) et autrice du livre: Ce que j’avais de plus précieux, publié aux éditions de l’Apothéose en 2020.

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